mardi 12 avril 2011

Capitaine Gredin contre corsaire Malin

Il y a fort longtemps, sur un bateau craquant, claquaient la jambe de bois et le sourire narquois du capitaine Gredin.

Capitaine Gredin, autrement surnommé Gredin le Terrible, était un pirate qui avait sous ses ordres, un ramassis de canailles plus fripouilles les unes que les autres. Cet équipage sale et sans vergogne, faisait trembler les Terres et les Mers et dirigeait les Cieux.
Oui, Capitaine Gredin dit le Terrible s'était rendu maître du Ciel en volant leur place aux Dieux qui étaient partis en vacances à la Barbade un peu trop longtemps. Et comme disait souvent le vilain Gredin « Qui va à la chasse, perd sa place! »
Les Dieux s'étaient donc retrouvés sans nulle part où ramener leurs valises, contraints et forcés de rester ad vitam aeternam en tongs sur leur bord de plage et de vivre tels Robinson Crusoë et autres participants de Koh Lanta. Réduits à faire griller à bout de bâtons les crevettes pêchées par le dieu de la Guerre dans le filet à cheveux de la déesse de la Beauté, on se doute bien que les Dieux ne pouvaient plus rien pour défendre les pauvres habitants des Terres et des Mers.
Mais Gredin, qui souffrait d'insatisfaction chronique, avait un désir secret. Après les Terres, les Mers et les Cieux, c'était le monde sous-terrain qu'il voulait faire trembler. Le problème était que mis à part les morts, personne n'avait jamais mis les pieds sous terre. Gredin ne savait pas comment faire. Aussi, était-il bloqué sur les Terres, les Mers et les Cieux et ceci le rendait très aigri car il ne supportait pas que quelque chose lui résiste.
Pour passer sa colère, il décida d'attaquer et de piller tous les bateaux qui osaient encore s'aventurer sur les Eaux.
Les pauvres habitants des Terres, ne pouvant plus faire de commerce international, commençaient à souffrir de pénurie et donc, de famine.
Les Rois de tous les pays ne savaient plus quoi faire, leurs flottes militaires semblaient incapables de battre le terrible Gredin.

C'est alors que dans un coin perdu du monde terrestre, un petit marchand nommé Malin décida que tout cela était assez et que si les Dieux et les Rois ne pouvait rien pour le Peuple alors peut-être que le Peuple pouvait quelque chose pour les Dieux et les Rois. Malin était prêt à tout car il n'avait plus rien à perdre, Gredin et ses canailles lui avaient déjà tout pris. IL rassembla ses idées et les quelques marchandises qu'il restait dans sa pauvre boutique et se rendit chez son Roi afin d'obtenir un mandat pour charger un bateau civil armé et traverser les Mers sous prétexte de tenter de rejoindre le Mexique pour un échange de marchandise. Le Roi, ignorant les véritables projets de Malin, rigola de cette entreprise suicidaire et accorda son mandat à ce qu'il pensait être un pauvre fou.

Ainsi, Malin le marchand devint corsaire et la promesse des embruns lui donna un surplus de courage et d'espoir.

Non sans peine, car le Peuple est peureux de nature, il réussit à réunir quelques braves et fous pour constituer son équipage et appareilla un jour de juin à bord d'une vielle coque de noix nommée « Fier Matin » dirigée par le capitaine Smith, un marin si vieux qu'il n'avait plus d'âge.
Smith souffrait d'arthrite aiguë et son bateau de même mais ils avaient tous deux vus plus de Mers et acquis plus d'expérience que n'importe quel gaillard.
Une fois l'ancre levée et le cap mis sur le Mexique, Malin Entraîna Smith dans sa cabine afin de lui révéler ses plans.
«  Smith, Vous m'avez l'air d'un honnête homme et je regrette de vous avoir menti mais nous n'allons pas au Mexique. »
Smith eut l'air surpris mais attendait silencieusement la suite et Malin enchaîna.
«  J'avais peur que vous n'acceptiez pas la mission si je vous disais la vérité tout de go. Non, nous n'allons pas au Mexique, et ceci n'est pas une expédition marchande. Nous allons à la Barbade porter secours aux Dieux. Il faut que ceux-ci puissent enfin nous délivrer du Terrible Gredin ! »
Smith tira une longue bouffée sur sa pipe et plissa les yeux avant de répondre :
«  Une mission humanitaire donc? A la Barbade? Terriblement dangereux mon p'tit Malin ! »
Il tira une autre bouffée et secoua la tête :
« Mon p'tit Malin, chuis qu'un vieux fou qui n'a plus qu'un seul désir, rejoindre enfin le paisible royaume des morts où ma regrettée Margot m'attend. Cette mission est... »
il fit une nouvelle pause et Malin commençait à trouver ce suspens insoutenable.
«  Terriblement dangereuse et donc terriblement excitante! »
Son regard se fit plein de malice, il sourit largement et s'en alla d'un pas rapide en direction du pont.
Malin se précipita à sa suite et arriva juste au moment où Smith attrapait la barre pour réajuster son axe en beuglant joyeusement :
«  Mes amis, cap sur la Barbade! »

Ainsi, Malin, Smith et quelques braves et fous se dirigèrent vers la Barbade pour sauver les Dieux et botter quelques fesses de Gredin et canailles.

Le voyage fut long mais les connaissances du vieux Smith leur permirent d'arriver à destination sans croiser l'horrible bateau du terrible Gredin.
Mais Malin fut vite déçu car il retrouva les Dieux qui faisait une soirée feu de camps / brochettes de papaye sur leur plage et comprit vite que ceux-ci étaient incapables de sauver les Peuples.
Ce fut Média, le dieu de l'information, qui se chargea de délivrer la vérité au triste corsaire :

« Malin tes intentions sont bonnes mais vaines. Nous, les Dieux ne pouvons rien pour vous, nous ne pouvons rien tout court d'ailleurs... Même quand nous étions dans les Cieux, nous ne pouvions rien. Vous nous avez vénérés pour des pouvoirs que nous n'avons jamais eus. Nous ne vous sauverons pas. »
Malin était triste, la vérité souvent fait mal et celle-ci était cruelle.
Média, qui ne pouvait s'empêcher de tout raconter, poursuivit malgré l'abattement de son interlocuteur :
«  Nous ne pouvons rien mais nous savons tout. Tout de tout, sur tout, à propos de tout et de tous. Et nous savons que Gredin ne s'arrêtera pas là car il veut désormais conquérir le royaume sous-terrain. Désolé mon p'tit Malin, mais si Gredin trouve le moyen d'exécuter ses plans et de pénétrer le royaume d'en bas, alors c'est la Planète entière qui tremblera devant lui. Enfin, je dis ça, nous, on est pas si mal lotis sur notre plage avec nos papayes et nos crevettes grillées... »

Malin retourna au Fier Matin les épaules basses et le cœur empli de désespoir.
Smith qui savait ce qu'était le désespoir, l'invita dans sa cabine pour partager une bouteille de rhum et quelques vieux souvenirs. Ils se laissèrent aller un temps à la mélancolie et pendant que Malin pestait contre l'incapacité des Dieux et des Rois, Smith parlait de sa femme Margot qui était morte et l'attendait sagement dans le royaume sous-terrain. Soudain, Malin eut ce qui pouvait être un commencement d'idée et il se mit à questionner le vieux Smith :

« Smith, qu'est-ce que ça fait un mort? »
« Un mort, c'est un peu comme nos Dieux et nos Rois, ça ne peut rien faire. Un mort ça attend. Ça attend ce que cela souhaitait le plus au moment de son trépas. Ma Margot, elle voulait être avec moi alors elle m'attend. Quand elle était sur Terre, j'étais jamais là, « Toujours en Mer le maudit Smith ! » qu'elle disait. Sous-terre, plus jamais que j'l'a quitterai ma Margot. C't'ait une chouette fille et c't'ait c'qu'elle voulait, pi d'la mer le p'tit Malin, j'en ai assez vu! »
Le cerveau de Malin se mît à réfléchir très fort et il resservit un autre verre de rhum au vieil arthritique pour mieux le faire parler :
«  Oui, mais une fois que son souhait est réalisé, qu'est-ce que cela devient? Je veux dire, quand Margot et toi vous serez retrouvés, qu'adviendra t' il de vous? »

«  Ah ça ! Mon pt'it Malin, c't'une chose que les bouquins disent pas! Personne est jamais revenu pour le raconter ! M'enfin, si j'en crois les légendes, je pense que si notre souhait se réalise nous disparaissons dans l'éternité. »
Le regard de Malin s'éclaira tout d'un coup :
«  Smith, vous êtes un génie ! » puis, il expliqua au vieil homme ce qu'il avait en tête.

Et ainsi, Malin, Smith et l'équipage du Fier Matin se mirent en demeure de retrouver Gredin le Terrible.

Ils accostèrent sur l'île de la Tortue connue pour être le repère des plus grands pirates et le Q.G de Gredin. Là, ils se firent passer pour un équipage bandits et attendirent. Il fallut attendre une semaine avant que Gredin ne pointe la proue de son rafiot et le bout de son nez. Tout était prêt, chacun avait révisé son rôle, le plan de Malin pouvait être mis à exécution.
Ils se postèrent dans la taverne où Gredin avait ses habitudes et lorsque celui-ci entra, Smith et Malin firent mine d'entamer une dispute à propos d'une carte et du monde sous-terrain.
Ils parlèrent assez fort pour attirer l'attention de Gredin, qui n'en perdit pas une miette.
« J'te dit qu'y a rien là-bas! Rien à part des morts et de la terre! » lança Malin en faisant semblant d'avoir trop bu de rhum.
« Eh moi, j'te dis qu'y a un trésor! » répliqua Smith
« Mais ma parole, les sirènes t'ont trop soufflé dans les oreilles toi!  Fais ce que tu veux mais moi, je vais pas en mer avec un vieux fou comme toi ! Débrouille-toi avec ta moitié de carte ! »
Smith fit mine de s'énerver et de vouloir cogner Malin mais son équipage l'en empêcha et le fit sortir de la taverne en lui expliquant que se battre n'était pas bon pour son arthrite.
Malin resta seul à table et attendit que Gredin vienne le voir.
Celui-ci ne résista pas à la tentation et s'assit en face de Malin.
« Eh toi l'ami ! J'ai entendu ta dispute avec le vieux schnock, tu sais comment te rendre dans le royaume d'en bas ? » lança Gredin tout de go.
«  Pfff, ce vieux fou et moi on a récupéré deux moitiés de carte qui disent comment y aller et lui il pense que c'est pas du pipeau mais moi je dis qu'il a trop bu l'eau de mer. » répondit Malin.
Tout d'un coup, Gredin devint agressif et menaça Malin de mort s'il ne faisait pas ce qu'il disait. Il lui ordonna de vendre sa moitié de carte au vieux fou afin que celui-ci puisse partir à la recherche de son maudit trésor. Malin acquiesça en feignant un air apeuré mais dans son fort intérieur, il jubilait, Gredin avait mordu à l'hameçon.
Malin fit tout ce que Gredin lui ordonna car ce dernier le faisait probablement suivre.
Il revendit donc la carte au vieux Smith et revint auprès de Gredin pour lui annoncer que Smith lèverait l'ancre deux jours plus tard. Durant tout ce laps de temps, Malin, Smith et le reste de l'équipage devait faire semblant de ne pas être amis.

Et voici comment, deux jours plus tard, Malin appareillait à bord du bateau craquant du capitaine Gredin pour suivre de loin le Fier Matin.

L'entreprise était très dangereuse pour Malin car sur ce bateau, il n'avait pas d'allié. Si Gredin découvrait la supercherie, Malin serait aussitôt estourbi.
Mais s'il était et méchant, et brutal et cruel et sans vergogne, Gredin n'était en revanche pas très vif d'esprit. Malin avait donc peut-être une chance.
Smith, en ami fiable qu'il était, ne s'écarta pas du plan qu'ils avaient ensemble élaboré. Il fît route en direction de la crique des Brumes, un endroit où les roches se sont cassées en mille morceaux pour rendre la mer vicieuse et dangereuse. On disait que c'était l'œuvre de la Loroleï qui y attirait désormais les bateaux pour qu'ils viennent se briser sur les récifs.
Peu d'hommes étaient revenus de cet endroit mais Smith était un vieux marin et un bougre de bon capitaine, il connaissait l'endroit, il saurait y manœuvrer de manière sûre.
Gredin jubilait :
« Mais bien sur ! La crique des Brumes ! Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt? Si une porte pour le monde sous-terrain existe, il est évident qu'elle est là! La Loroleï la garde en faisant s'échouer les bateau qui s'en approchent! Aha! Bientôt, bientôt, je serai dans le monde des ténèbres pour y faire régner la peur ! »
Malin profita de ce moment d'exaltation pour semer une nouvelle graine :
« Il y a une autre chose que vous devez savoir, le moment où vous entendrez la Loroleï sera cruciale. La carte disait que si vous voulez pénétrer dans le royaume d'en-bas, il faut faire le vide total dans votre cœur pour ne souhaiter que cette simple chose : entrer dans le royaume des morts. Et c'est tout! Vous ne devez que souhaiter d'entrer, sinon la Loroleï vous prendra. »
«  Oui , oui, j'ai compris Malin, entrer et c'est tout ! Je ne suis pas stupide ! »
Pendant qu'ils discutaient, le Fier Matin avait soudainement disparu dans les brumes. On ne pouvait donc plus le suivre. Malin déclara que ce n'était pas grave, il se souvenait que la carte disait qu'il fallait se rendre sur l'île et s'enfoncer de trois lieues dans la forêt jusqu'à entendre la Loroleï.
Le pied mis à terre, Malin soufflait un peu. C'était déjà un miracle que personne n'ait été blessé jusque-là et il pensait très fort à Smith et au reste de leur équipage en espérant que ceux-ci avaient pu accoster sans heurt et rejoindre leur poste, la réussite du reste et la survie de tous en dépendait.
Malin guida Gredin dans la forêt et l'on entendit bientôt des bruits étranges et une voix de femme :
« Quuuui ooooose pénétrer mon territoire? »
Capitaine Gredin se précipita en avant.
« Moi madame, capitaine Gredin, pirate de mon état ! »
« Que désires-tu étranger? »
« Je désire pénétrer dans le royaume des morts. »
« Gare à toi si tu mens, car je sonde les âmes et rends mon jugement! »
IL y eut un moment de silence et l'on vit Gredin se concentrer très fort, cela lui faisait des rides au coin des yeux. Puis, très vite, Malin s'avança dans le dos de Gredin et quand il l'eut atteint on vit en même temps l'équipage du fier Matin sortir de sa cachette et Gredin s'écrouler au sol dans un grand cri de douleur. Malin lui avait planté une dague dans le dos.
La Loroleï n'était en fait qu'une des membres du Fier Matin, le piège avait fonctionné.
Il y eut une grande bataille entre les deux équipages, on entendait partout le choc des sabres qui se croisaient.
Pendant ce temps, Malin accompagna les derniers moments du terribles pirate Gredin.
« tu m'as piégé ! » grogna celui-ci.
«  Tu as ce que tu voulais Gredin, bientôt, tu rejoindras le royaume des morts, ton souhait est exhaussé. Et nous, peuple des Terres, des Mers, des Cieux et des souterrains nous n'auront plus peur et nous pourront aller en paix, tu ne feras plus de mal à personne. »
«  Parle pour les Terres, les Mers et les Cieux ! Même mort, je me charge de faire trembler le royaume d'en-bas ! »
« Tu ne le pourras pas Gredin ! Ton souhait le plus cher est exhaussé, tu n'y resteras pas, tu disparais aujourd'hui pour l'éternité. »
Et sur cette dernière phrase, l'on vit Gredin rendre son dernier soupir avec effroi.
Pendant ce temps, la bataille s'était terminée. Les canailles avaient été terrassées et ceux qui n'avaient pas péri ou fuit avaient été fait prisonniers. On les ramènerait aux Rois afin qu'ils soient dûment jugés.
Smith, le vieil arthritique avait tenu à se battre avec les autres, vieux fou qu'il était et il avait ré-colleté une méchante blessure, il ne s'en sortirait pas. Malin et tout son équipage s'amassèrent autour de lui afin de lui faire un dernier adieu mais il n'y eut pas de pleurs car déjà, l'âme de Smith s'envolait, le sourire aux lèvres, il allait enfin retrouver sa Margot. Tous, bien que tristes de perdre un ami, étaient heureux pour lui car c'était là tout ce qu'il désirait.
Le monde était désormais sauvé. Les Dieux retournèrent dans les Cieux où ils s'aménagèrent une plage artificielle.
Les Rois purent reprendre leur guerre entre eux, prétextant que c'était bon pour la prospérité des pays.
Les Peuples n'avaient plus faim car le commerce international avait repris.
Quant à Malin et l'équipage du Fier Matin, ils furent couverts d'or mais surtout, ils étaient devenus amis pour la vie.

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